L’enfer
… Dans un vague terrible et souffrant, chaque forme,
Comme sous le brouillard les bras nus d’un vieil orme,
Se dresse et s’agrandit sur ces champs de douleur,
Où l’être et le fantôme ont la même couleur.
L’oeil fermé par l’effroi, dans l’ombre expiatoire,
Retrouve en se rouvrant la vision plus noire.
Telle qu’un mont d’airain, tantôt l’éternité
Donne aux êtres maudits son immobilité ;
Et tantôt, roue ardente, instrument de colère,
Imprime à leurs tourments son horreur circulaire.
Sous le rayon blafard qui les laisse entrevoir,
Dans l’orbe du vertige ils semblent se mouvoir
Pareils à ces oiseaux de nuit, race douteuse,
Dont le vol inégal fuit dans l’ombre honteuse,
Et dont l’aile sans plume, à chacun de ses noeuds,
Pour déchirer les airs dresse un angle épineux.
Leur foule aux mille aspects vient, fuit, décroît, repasse ;
Chaque démon poursuit un damné dans l’espace.
Et parfois, sous la nuit, ils échangent entre eux
Les bizarres contours de leurs corps sulfureux.
Ô formidable nuit! ô plages orageuses!
Herschell a moins compté d’étoiles nuageuses
Qu’il ne vient apparaître, en ces lieux désolés,
Des mondes de douleur, lointains, confus, voilés!
On les voit, on les perd comme une flotte sombre,
Qui, dans un ouragan, parmi les écueils sombre,
Passant, tourbillonnant sous la dent qui les mord,
Ainsi qu’un sable noir dispersé par la mort.
Mondes tout ruinés et que nul ne restaure!
Labyrinthes ayant le mal pour minotaure!
Globes lançant au loin les feux de leurs Etna,
Portant les noms maudits que Satan leur donna,
Élevant dans leur ombre, et sans changer d’annales,
L’unanime concert des plaintes infernales!
Sépulcres voyageurs qui, dans l’immensité,
Diffèrent de vieillesse en leur éternité!
Groupes de châtiments, cercles pleins de blasphèmes,
Systèmes de forfaits tournoyant sur eux-mêmes,
Et d’un vol aveuglé dont tout ordre est banni,
Sur l’axe de l’enfer roulant dans l’infini!