L’avarice
A Hélias Boniface, d’Avignon.
Voyant l’homme avaricieux,
Tant misérable et soucieux,
Veiller, courir et tracasser,
Pour toujours du bien amasser
Et jamais n’avoir le loisir
De s’en donner à son plaisir,
Sinon quand il n’a plus puissance
D’en percevoir la jouissance,
Il me souvient d’une alumelle,
Laquelle, étant luisante et belle,
Se voulut d’un manche garnir,
Afin de couteau devenir,
Et, pour mieux s’emmancher de même,
Tailla son manche de soi-même.
En le taillant, elle y musa,
Et, musant, de sorte s’usa
Que le couteau, bien emmanché,
Étant déjà tout ébréché,
Se vit grandi par plus de neuf
D’être ainsi usé tout fin neuf ;
Dont fut contraint d’en rire aussi
Du bout des dents, et dit ainsi :
» J’ai bien ce que je souhaitais,
Mais pas ne suis tel que j’étais,
Car je n’ai plus ce doux trancher,
Pour quoi tâchais à m’emmancher. »
Ainsi vous en prend-il, humains,
Qui nous avez entre vos mains,
Hormis qu’on put le fil bailler
Au tranchant qui ne veut tailler ;
Mais à vieillesse évertuée
Vertu n’est plus restituée.