Le poète mourant
Le poète chantait : de sa lampe fidèle
S’éteignaient par degrés les rayons pâlissants ;
Et lui, prêt à mourir comme elle,
Exhalait ces tristes accents :
» La fleur de ma vie est fanée ;
Il fut rapide, mon destin!
De mon orageuse journée
Le soir toucha presque au matin.
» Il est sur un lointain rivage
Un arbre où le Plaisir habite avec la Mort.
Sous ses rameaux trompeurs malheureux qui s’endort!
Volupté des amours! cet arbre est ton image.
Et moi, j’ai reposé sous le mortel ombrage ;
Voyageur imprudent, j’ai mérité mon sort.
» Brise-toi, lyre tant aimée!
Tu ne survivras point à mon dernier sommeil ;
Et tes hymnes sans renommée
Sous la tombe avec moi dormiront sans réveil.
Je ne paraîtrai pas devant le trône austère
Où la postérité, d’une inflexible voix,
Juge les gloires de la terre,
Comme l’Égypte, aux bords de son lac solitaire,
Jugeait les ombres de ses rois.
» Compagnons dispersés de mon triste voyage,
Ô mes amis! ô vous qui me fûtes si chers!
De mes chants imparfaits recueillez l’héritage,
Et sauvez de l’oubli quelques-uns de mes vers.
Et vous par qui je meurs, vous à qui je pardonne,
Femmes! vos traits encore à mon oeil incertain
S’offrent comme un rayon d’automne,
Ou comme un songe du matin.
Doux fantômes! venez, mon ombre vous demande
Un dernier souvenir de douleur et d’amour :
Au pied de mon cyprès effeuillez pour offrande
Les roses qui vivent un jour. «
Le poète chantait : quand la lyre fidèle
S’échappa tout à coup de sa débile main ;
Sa lampe mourut, et comme elle
Il s’éteignit le lendemain.