Le désir
Ode anacréontique
Souffle divin, puissant moteur,
Dont les impressions soudaines
Font couler le feu dans nos veines,
Et le plaisir dans notre coeur :
Désir, j’adore ton ivresse,
Tes traits rapides et brûlants,
Et tes impétueux élans,
Et ta langueur enchanteresse…
Vents, taisez-vous, faunes ardents
Cessez votre lutte amoureuse :
Du sein de la dryade heureuse
Prêtez l’oreille à ses accents.
Il naît, il vole, et de ses ailes
Parcourt des espaces nouveaux ;
Dans les abîmes du chaos
Il fait jaillir ses étincelles.
Par lui, les êtres sont amants,
Et le monde est une féerie ;
Il tient le flambeau de la vie
Et fait mouvoir les éléments.
Sous les cintres de la verdure
Il offre un dais à la beauté :
Il s’empare de la nature
En promettant la volupté.
Ô toi, que l’univers encense,
Toi, premier bienfait du destin,
Tant que tu dors dans notre sein
Quel froid sommeil que l’existence!
L’heure se traîne lentement,
La nature est triste et glacée,
Rien ne sourit à la pensée,
Rien n’éveille le sentiment.
Tu parais, tout brille et t’exprime ;
L’air est plus doux, le jour plus beau ;
Le coeur bat, le regard s’anime,
Et l’univers sort du tombeau.
On tremble, on brûle de connaître ;
Sans objet on devient rêveur ;
Ces prés, ces bois, l’ombre d’un hêtre
Ont un langage pour le coeur.
Ta flamme roule avec les ondes :
Tu hâtes le vol des zéphyrs.
Dans les solitudes profondes
Écho répète tes soupirs.
L’amant, qui te redoute encore,
Est averti par la douleur
Que tes délices vont éclore
Et qu’il est né pour le bonheur.
Désir, tu créas les déesses,
Et l’Olympe te doit ses dieux ;
Que seraient-elles sans tes feux?
Que seraient-ils sans leurs faiblesses?
Toi seul précipites les bonds
De la ménade échevelée,
Qui, dans ses transports vagabonds,
S’élance au creux de la vallée.
C’est toi seul qui fais palpiter
Le coeur de la nymphe innocente,
Et qui sais si bien l’agiter
Par un plaisir qui la tourmente.
C’est alors qu’au fond des forêts
Elle s’étonne de ses charmes,
Et cache ses brûlantes larmes,
Doux indices de tes progrès.
Haletante, faible, oppressée,
Elle va tomber sur des fleurs,
Conservant malgré ses frayeurs,
Les traits d’Iphis dans sa pensée.
Iphis paraît, il est charmant :
Tous deux s’embrassent en silence.
Tous deux, grâce à leur ignorance,
Sauront profiter du moment.
Déjà mille frissons rapides,
Avant-coureurs voluptueux,
Se glissant à travers tes feux,
Parcourent leurs lèvres humides.
L’aimable et naïve pudeur
Ajoute encore à ta puissance…
Rien de plus vif que ton ardeur,
Rien d’égal à ton éloquence.
L’amour prépare ta moisson.
Du jeune objet qu’Iphis adore
Le sein s’émeut, et se colore…
La rose échappe à son bouton.
Désir, ton triomphe commence,
Et tu mêles de la douceur
Même à l’effroi de l’innocence,
Entre les bras de son vainqueur.