Le Voltigeur. Souvenir de Châteauguay (1831)
Sombre et pensif, debout sur la frontière,
Un Voltigeur allait finir son quart ;
L’astre du jour achevait sa carrière,
Un rais au loin argentait le rempart.
Hélas, dit-il, quelle est donc ma consigne?
Un mot anglais que je ne comprends pas :
Mon père était du pays de la vigne,
Mon poste, non, je ne te laisse pas.
Un bruit soudain vient frapper son oreille :
Qui vive… point. Mais j’entends le tambour.
Au corps de garde est-ce que l’on sommeille?
L’aigle, déjà, plane aux bois d’alentour.
Hélas, etc.
C’est l’ennemi, je vois une victoire!
Feu, mon fusil : ce coup est bien porté ;
Un Canadien défend le territoire,
Comme il saurait venger la Liberté.
Hélas, etc.
Quoi! l’on voudrait assiéger ma guérite?
Mais quel cordon! ma foi qu’ils sont nombreux!
Un Voltigeur, déjà prendre la fuite?
Il faut encor, que j’en tue un ou deux.
Hélas, etc.
Un plomb l’atteint, il pâlit, il chancelle ;
Mais son coup part, puis il tombe à genoux.
Le sol est teint de son sang qui ruisselle.
Pour son pays, de mourir qu’il est doux!
Hélas, etc.
Ses compagnons, courant à la victoire,
Vont jusqu’à lui pour étendre leur rang.
Le jour, déjà, désertait sa paupière,
Mais il semblait dire encor en mourant :
Hélas! c’est fait, quelle est donc ma consigne?
Un mot anglais que je ne comprends pas :
Mon père était du pays de la vigne.
Mon poste, non, je ne te laisse pas.