Les pantins
À Mme Coquebert, de Reims
L’autre jour un philosophe
Joyeux, aimable et badin
(Il en est de toute étoffe),
Faisait danser un pantin.
En jouant, il examine
De la nouvelle machine
Tous les fils et les ressorts,
Qui meuvent ce petit corps.
Or voici comme ce sage
Badinait en raisonnant,
Ou, si l’aimez davantage,
Raisonnait en badinant :
Cette petite figure
Rend, dit-il, d’après nature,
Ce qui nous met tous en train :
Tout homme est un vrai pantin.
La passion dominante
Est le fil et le ressort,
Qui, dans une main savante,
Fait tout mouvoir sans effort.
Il en est de toute espèce ;
Car chacun a sa faiblesse
Un cordon, ou rouge ou bleu,
Suffit pour tout mettre en jeu.
Lorsque, pour une coquette,
L’amour nous fait soupirer,
Le cordon de la fleurette
Est celui qu’il faut tirer.
Une plus grande ressource,
C’est le cordon de la bourse ;
Sitôt qu’on le tirera,
La pantine dansera.
Regardez cette figure,
Qui représente Thémis,
Qui, dit-on, d’une main sûre,
Pèse et met tout à son prix :
Dans les biens qu’elle dispense,
Qui fait pencher la balance?
C’est un petit filet d’or,
Qui fait aller le ressort.
Trissotin, le parasite
A pris, pour son protecteur,
Un financier sans mérite,
Qui n’a que de la hauteur.
Il encense son idole
En prodiguant l’hyperbole ;
Qui est-ce que fait Trissotin?
Il fait danser son pantin.
Damis approuve l’ouvrage
Que Martin dit avoir fait ;
Enchanté de son suffrage,
Le filet fait son effet.
Martin se croit un Pindare ;
Il vole plus haut qu’Icare ;
Il décide en souverain ;
Voyez danser le pantin.
Gâcon fait l’apothéose
De la suffisante Iris :
Il célèbre en vers, en prose
L’objet dont il est épris ;
Ne fût-elle qu’une buse,
L’auteur l’appelle sa Muse ;
Il a tiré le filet
Le ressort fait son effet.
Pour vous, aimable Thémire
On a beau vous cajoler ;
Quelque filet que l’on tire
Rien ne peut vous ébranler.
Philosophe et sûre amie,
Vous riez de la folie
De tous les faibles humains
Et vous moquez des pantins.