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Poèmes en français


Satyre X

(Fragment)

… Ô Muse! je t’invoque : emmielle-moi le bec,
Et bandes de tes mains les nerfs de ton rebec.
Laisse moy là Phoebus chercher son avanture,
Laisse moy son b mol, prend la clef de nature,
Et vien, simple, sans fard, nue et sans ornement,
Pour accorder ma flute avec ton instrument.

Dy moy comme sa race, autrefois ancienne,
Dedans Rome accoucha d’une patricienne,
D’où nasquit dix Catons et quatre vingts preteurs,
Sans les historiens et tous les orateurs.
Mais non, venons à luy, dont la maussade mine
Resemble un de ces dieux des coutaux de la Chine,
Et dont les beaux discours, plaisamment estourdis,
Feroient crever de rire un sainct de paradis.

Son teint jaune, enfumé, de couleur de malade,
Feroit donner au diable et ceruze et pommade ;
Et n’est blanc en Espaigne à qui ce cormoran
Ne lasse renier la loy de l’Alcoran.

Ses yeux bordez de rouge, esgarez, sembloient estre
L’un à Montmarthe et l’autre au chasteau de Bicestre :
Toutesfois, redressant leur entre-pas tortu,
Ils guidoient la jeunesse au chemin de vertu.

Son nez haut relevé sembloit faire la nique
A l’Ovide Nason, au Scipion Nasique,
Où maints rubis balez tous rougissans de vin,
Monstroient un Hac itur à la Pomme de Pin,
Et, preschant la vendange, asseuroient en leur trongne
Qu’un jeune médecin vit moins qu’un vieil yvrongne.

Sa bouche est grosse et torte, et semble en son porfil
Celle-là d’Alizon qui, retordant du fil,
Fait la moue aux passans, et, feconde en grimace,
Bave comme au prin-temps une vieille limace.

Un rateau mal rangé pour ses dents paroissoit,
Où le chancre et la rouille en monceaux s’amassoit,
Dont pour lors je congneus, grondant quelques paroles,
Qu’expert il en sçavoit crever ses everoles,
Qui me fist bien juger qu’aux veilles des bons jours
Il en souloit rogner ses ongles de velours.

Sa barbe sur sa joue esparse à l’advanture,
Où l’art est en colere avecque la nature,
En bosquets s’eslevoit, où certains animaux,
Qui des pieds, non des mains, lui faysoient mille maux.

Quant au reste du corps, il est de telle sorte,
Qu’il semble que ses reins et son espaule torte
Facent guerre à sa teste, et, par rebellion,
Qu’ils eussent entassé Osse sur Pellion,
Tellement qu’il n’a rien en tout son attelage
Qui ne suive au galop la trace du visage…


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Poeme Satyre X - Mathurin Regnier