L’Île du Plaisir
Sous un climat étrange, où sept fois tous les jours
La mer change d’assiette, et la vague de cours,
Il se voit sur les eaux une île vagabonde
Qui flotte sans arrêt au mouvement de l’onde,
Comme un navire errant que le phare et le nord
Auraient abandonné, loin de rade et de port.
Sur ses bords jour et nuit des troupes de sirènes,
Flatteuses de la voix et du coeur inhumaines,
Font de leurs doux attraits des pièges aux passants,
Plus cruels à l’esprit qu’agréables aux sens,
Corrompent la raison par la vue éblouie,
Empoisonnent le coeur du plaisir de l’ouïe,
Et par un rare effet de leurs malins accords
Mettent de la discorde entre l’âme et le corps.
Un printemps éternel, qui sa rive environne,
De myrte et de palmiers lui fait une couronne.
Là des essaims d’Amours sur des branches perchés
À des jeux innocents paraissent empêchés.
De noeuds et de festons les uns par couple lient
Les palmes qui sous eux de respect s’humilient,
Et par les doux transports de leurs âmes de bois
Soupirent sans esprit, et se parlent sans voix.
D’autres jettent des fleurs d’épines désarmées
Et d’un ambre incarnat teintes et parfumées,
Qui semblent faire en l’air de leur pure couleur
Un nuage innocent de flammes sans chaleur.
Mais de ces vains jouets la montre peu fidèle
De loin est agréable, et de près est cruelle,
Et les infortunés qui suivent ces appas
Sous un plaisir trompeur trouvent un vrai trépas.