Le poète et la foule
La plaine un jour disait à la montagne oisive :
» Rien ne vient sur ton front des vents toujours battu! «
Au poète, courbé sur sa lyre pensive,
La foule aussi disait : » Rêveur, à quoi sers-tu? «
La montagne en courroux répondit à la plaine :
» C’est moi qui fais germer les moissons sur ton sol ;
Du midi dévorant je tempère l’haleine ;
J’arrête dans les cieux les nuages au vol!
Je pétris de mes doigts la neige en avalanches ;
Dans mon creuset je fonds les cristaux des glaciers,
Et je verse, du bout de mes mamelles blanches,
En longs filets d’argent, les fleuves nourriciers.
Le poète, à son tour, répondit à la foule :
» Laissez mon pâle front s’appuyer sur ma main.
N’ai-je pas de mon flanc, d’où mon âme s’écoule,
Fait jaillir une source où boit le genre humain? «