Ce soir que vous ayant seulette rencontrée
Ce soir que vous ayant seulette rencontrée,
Pour guérir mon esprit et le remettre en paix
J’eus de vous, sans effort, belle et divine Astrée,
La première faveur que j’en reçus jamais.
Que d’attraits, que d’appas vous rendaient adorable!
Que de traits, que de feux me vinrent enflammer!
Je ne verrai jamais rien qui soit tant aimable,
Ni vous rien désormais qui puisse tant aimer.
Les charmes que l’Amour en vos beautés recèle,
Etaient plus que jamais puissants et dangereux ;
Ô Dieux! qu’en ce moment mes yeux vous virent belle,
Et que vos yeux aussi me virent amoureux!
La rose ne luit point d’une grâce pareille,
Lors que pleine d’amour elle rit au Soleil,
Et l’Orient n’a pas, quand l’Aube se réveille,
La face si brillante, et le teint si vermeil.
Cet objet qui pouvait émouvoir une souche,
Jetant par tant d’appâts le feu dans mon esprit,
Me fit prendre un baiser sur vôtre belle bouche,
Mais las ce fut plutôt le baiser qui me prit.
Car il brûle en mes os, et va de veine en veine,
Portant le feu vengeur qui me va consumant,
Jamais rien ne m’a fait endurer tant de peine,
Ni causé dans mon coeur tant de contentement.
Mon âme sur ma lèvre était lors toute entière,
Pour savourer le miel qui sur la vôtre était ;
Mais en me retirant, elle resta derrière,
Tant de ce doux plaisir l’amorce l’arrêtait.
S’égarant de ma bouche, elle entra dans la vôtre,
Ivre de ce Nectar qui charmait ma raison,
Et sans doute, elle prit une porte pour l’autre,
Et ne lui souvint plus quelle était sa maison.
Mes pleurs n’ont pu depuis fléchir cette infidèle,
A quitter un séjour qu’elle trouva si doux :
Et je suis en langueur sans repos, et sans elle,
Et sans moi-même aussi lors que je suis sans vous.
Elle ne peut laisser ce lieu tant désirable,
Ce beau Temple où l’Amour est de tous adoré,
Pour entrer derechef en l’Enfer misérable,
Où le Ciel a voulu qu’elle ait tant enduré.
Mais vous, de ses désirs unique et belle Reine,
Où cette âme se plaît comme en son Paradis,
Faites qu’elle retourne, et que je la reprenne
Sur ces mêmes oeillets, où lors je la perdis.
Je confesse ma faute, au lieu de la défendre,
Et triste et repentant d’avoir trop entrepris,
Le baiser que je pris, je suis prêt de le rendre,
Et me rendez aussi ce que vous m’avez pris.
Mais non, puisque ce Dieu dont l’amorce m’enflamme,
Veut bien que vous l’ayez, ne me la rendez point ;
Mais souffrez que mon corps se rejoigne à mon âme,
Et ne séparez pas ce que Nature a joint.