A ma mère
En vain dans mes rapports ta prudence m’arrête,
Ma mère, il n’est plus temps ; tes pleurs m’ont fait poète!
Si j’ai prié le ciel de me les révéler,
Ces chants harmonieux, c’est pour te consoler.
D’un tel désir pourquoi me verrai-je punie?
Les maux que tu prédis ne sont dus qu’au génie ;
À d’illustres malheurs, va, je n’ai pas de droits :
Quel cri peut s’élever contre une faible voix?
Vit-on jamais les chants d’une muse pieuse
Exciter les clameurs de la foule envieuse!
Non, l’insecte rongeur qui s’attache au laurier
Epargne en son dédain la fleur de l’églantier.
Ah! de la gloire un jour si l’éclat m’environne,
Comme une autre parure acceptant sa couronne
Je dirai – « Son éclat sur toi va rejaillir ;
Aux yeux de ce qu’on aime elle va m’embellir. »
À ce cruel destin, hélas! me faut-il croire?
Pourquoi me fuirait-on? Le flambeau de la gloire,
Dont la splendeur effraye et séduit tour à tour,
N’est qu’un phare allumé pour attirer l’amour ;
Qu’il vienne!… Sans regret et changeant de délire
Aux pieds de ses autels j’irai briser ma lyre ;
Mais dois-je désirer ce bonheur dangereux?
Hier, il m’en souvient, je fis un rêve heureux :
L’être mystérieux qui préside à ma vie,
Ce fantôme charmant dont je suis poursuivie,
Hier il m’apparut, triste, silencieux,
La langueur se peignait sur ses traits gracieux ;
Moi, sans plaindre sa peine et d’espoir animée,
En le voyant souffrir je me sentais aimée…
Il ne l’avait pas dit… Non… Mais je le savais
Et bientôt j’oubliai… (Ma mère, je rêvais!)
J’oubliai de cacher le trouble de mon âme,
Il le vit ; et ses yeux, pleins d’une douce flamme,
Pour m’en récompenser l’excitaient tendrement,
Et mon coeur se perdait dans cet enchantement.
Toi-même en souriant contemplais mon supplice
D’un regard à la fois maternel et complice,
Dieu! que j’étais heureuse! et pourtant… je pleurais!
Ce bonheur me parut redoubler tes regrets :
Celui que nous pleurons manquait à notre joie,
Car je n’espère plus qu’un rêve nous l’envoie…