La vachère
A Léon Cladel.
Le mouchoir sur la nuque et la jupe lâchée,
Dès l’aube, elle est venue au pacage, de loin ;
Mais sommeillante encore, elle s’est recouchée,
Là sous les arbres, dans un coin.
Aussitôt elle dort, bouche ouverte et ronflante ;
Le gazon monte, autour du front et des pieds nus ;
Les bras sont repliés de façon nonchalante,
Et les mouches rôdent dessus.
Les insectes de l’herbe, amis de chaleur douce
Et de sol attiédi, s’en viennent, à vol lent,
Se blottir, par essaims, sous la couche de mousse,
Qu’elle réchauffe en s’étalant.
Quelquefois, elle fait un geste gauche, à vide,
Effarouche autour d’elle un murmure ameuté
D’abeilles ; mais bientôt, de somme encore avide,
Se tourne de l’autre côté.
Le pacage, de sa flore lourde et charnelle,
Encadre la dormeuse à souhait : comme en lui,
La pesante lenteur des boeufs s’incarne en elle
Et leur paix lourde en son oeil luit.
La force, bossuant de noeuds le tronc des chênes,
Avec le sang éclate en son corps tout entier :
Ses cheveux sont plus blonds que l’orge dans les plaines
Et les sables dans le sentier.
Ses mains sont de rougeur crue et rèche ; la sève
Qui roule, à flots de feu, dans ses membres hâlés,
Bat sa gorge, la gonfle, et, lente, la soulève
Comme les vents lèvent les blés.
Midi, d’un baiser d’or, la surprend sous les saules,
Et toujours le sommeil s’alourdit sur ses yeux,
Tandis que des rameaux flottent sur ses épaules
Et se mêlent à ses cheveux.