Une statue (1)
On le croyait fondateur de la ville,
Venu de pays clairs et lointains,
Avec sa crosse entre les mains,
Et, sur son corps, une bure servile.
Pour se faire écouter il parlait par miracles,
En des clairières d’or, le soir, dans les forêts,
Où Loge et Thor carraient leurs symboles épais
Et tonnaient leurs oracles.
Il était la tristesse et la douceur
Descendue autrefois, à genoux, du calvaire,
Vers les hommes et leur misère
Et vers leur coeur.
Il accueillait l’humanité fragile
Il lui chantait le paradis sans fin
Et l’endormait dans un rêve divin,
Le front posé sur l’évangile.
Plus tard, le roi, le juge, et le bourreau
Prirent son verbe et le faussèrent
Et les textes autoritaires
Apparurent, tels des glaives, hors du fourreau.
Contre la paix qu’il avait inclinée
Vers tous, de son geste clément,
La vie, avec des cris et des sursauts déments,
Brusque et rouge, fut dégainée.
Mais lui resta le clair apôtre au front vermeil,
Aux yeux remplis de patience et d’indulgence,
Et la pieuse et populaire intelligence
Puisait auprès de lui la force et le conseil.
On l’invoquait pour les fièvres et pour les peines,
On le fêtait en mai, au soir tombant,
Et les mères et les vieillards et les enfants
Venaient baigner leurs maux dans l’eau de sa fontaine.
Son nom large et sonore d’amour
Marquait la fin des longues litanies
Et des complaintes infinies
Que l’on chantait, depuis toujours.
Il se perpétuait, près d’un portail roman,
En une image usée et tremblotante,
Qui écoutait, dans la poitrine
Haletante des tours,
Les bourdons lourds clamer au firmament.