Toi qui m’as tout repris
Toi qui m’as tout repris jusqu’au bonheur d’attendre,
Tu m’as laissé pourtant l’aliment d’un coeur tendre,
L’amour! Et ma mémoire où se nourrit l’amour.
Je lui dois le passé ; c’est presque ton retour!
C’est là que tu m’entends, c’est là que je t’adore,
C’est là que sans fierté je me révèle encore.
Ma vie est dans ce rêve où tu ne fuis jamais ;
Il a ta voix, ta voix! Tu sais si je l’aimais!
C’est là que je te plains ; car plus d’une blessure,
Plus d’une gloire éteinte a troublé, j’en suis sûre,
Ton coeur si généreux pour d’autres que pour moi :
Je t’ai senti gémir ; je pleurais avec toi!
Qui donc saura te plaindre au fond de ta retraite,
Quand le cri de ma mort ira frapper ton sein?
Tu t’éveilleras seul dans la foule distraite,
Où des amis d’un jour s’entr’égare l’essaim ;
Tu n’y sentiras plus une âme palpitante
Au bruit de tes malheurs, de tes moindres revers.
Ta vie, après ma mort, sera moins éclatante ;
Une part de toi-même aura fui l’univers.
Il est doux d’être aimé! Cette croyance intime
Donne à tout on ne sait quel air d’enchantement ;
L’infidèle est content des pleurs de sa victime ;
Et, fier, aux pieds d’une autre il en est plus charmant.
Mais je n’étouffe plus dans mon incertitude :
Nous mourrons désunis, n’est-ce pas? Tu le veux!
Pour t’oublier, viens voir! … qu’ai-je dit? Vaine étude,
Où la nature apprend à surmonter ses cris,
Pour déguiser mon coeur, que m’avez-vous appris?
La vérité s’élance à mes lèvres sincères ;
Sincère, elle t’appelle, et tu ne l’entends pas!
Ah! Sans t’avoir troublé qu’elle meure tout bas!
Je ne sais point m’armer de froideurs mensongères :
Je sais fuir ; en fuyant on cache sa douleur,
Et la fatigue endort jusqu’au malheur.
Oui, plus que toi l’absence est douce aux cœurs fidèles :
Du temps qui nous effeuille elle amortit les ailes ;
Son voile a protégé l’ingrat qu’on veut chérir :
On ose aimer encore, on ne veut plus mourir.