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Poèmes en français


Toute la vie d’un coeur – 1835 – Promenade

Je t’adore. Soyons deux heureux. Viens t’asseoir
Dans une ombre qui soit un peu semblable au soir.
Marchons bien doucement. Sois pensive. Sois lasse.
Profitons du moment où personne ne passe ;
Entrons dans le hallier, cachés par les blés mûrs.

Que ne puis-je élever brusquement quatre murs
Ici, dans ce coin chaste, et d’un coup de baguette!
La nature est un oeil invisible qui guette ;
Glissons-nous ; le silence entend ; défions-nous
Du bruit que fait une âme embrassant deux genoux.
Car, moi, je ne suis pas autre chose qu’une âme ;
Mais une âme peut prendre en sa serre une femme,
Et l’emporter, et faire un bruit mystérieux
De lionne sur terre ou d’aigle dans les cieux.

Tu grondes. Un baiser! – Jamais! – Je le dérobe.
Tu dis : c’est mal! – Et j’ôte une épingle à ta robe.
L’amour aime les yeux fâchés de la pudeur,
Et rien n’est plus charmant qu’un paradis boudeur ;
C’est vrai, belle, depuis que les blanches épaules
De Galatée ont pris la fuite sous les saules,
Et que Marot a vu, sans être trop puni,
Un doux sourire faire éclore un doux nenni,
Une gloire ineffable est à l’amour mêlée.
La femme est de son trop de puissance accablée ;
Vaincue, elle se sait maîtresse, elle nous plait ;
Comme c’est ravissant d’avoir ce qu’on voulait
Et de sentir beaucoup de reproches se taire!
Comme une rougeur vague après l’heureux mystère
Enivre, et comme on sent le prix d’une faveur
Que veut presque reprendre un silence rêveur!
Reprendre? Non ; pourquoi? Donner encor? Peut-être.
Cachons-nous. Une branche a remué. C’est traître.
On devinait qu’Eschyle avait un rendez-vous
Avec Mégaryllis, la farouche aux yeux doux,
Et qu’elle se laissait dire de tendres choses,
Quand les feuilles tremblaient au bois des lauriers-roses.


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Poeme Toute la vie d’un coeur – 1835 – Promenade - Victor Hugo