Orphée
(Orphée à Pluton)
» Monarque redouté qui regnes sur les Ombres,
Je ne suis pas venu dessus ces rives sombres
Pour enlever ton Septre et me faire Empereur
De ces lieux plains d’horreur.
En mon pieux dessein je n’ay point d’autres armes
Que les gemissemens, les souspirs et les larmes,
Avec tous les ennuys dont peut estre chargé
Un Amant affligé.
… Amour importuné de mes plaintes funebres
M’esclairant de sa flame à travers des tenebres,
Par ton secret avis m’a fait venir icy
Te conter mon soucy.
Tu cognois le pouvoir de sa secrette flame ;
Si le bruit n’est menteur, elle embrasa ton ame
Lorsque dans la Sicile, un Miracle des Cieux
Parut devant tes yeux.
On dit qu’en observant sa grace nompareille,
Tu frémis dans ton char d’amour et de merveille
Et que tu n’as ravy cette jeune Beauté
Qu’apres l’avoir esté.
S’il te souvient encor de ces douces atteintes,
Pren pitié de mes maux, pren pitié de mes plaintes
Et fay bien tost cesser avecque mes douleurs,
Mes soûpirs et mes pleurs.
Je t’en viens conjurer par ton Palais qui fume
Par le nytre embrasé, le souffre et le bitume
De ces fleuves bruslans et de ces noirs Palus
Qu’on ne repasse plus.
Par les trois noires Soeurs, ces Compagnes cruelles
Qui portent l’espouvente et l’horreur avec elles ;
Et qui tiennent tousjours leurs cheveux herissez
D’Aspics entrelacez.
Par l’auguste longueur de ton poil qui grisonne,
Par l’esclat incertain de ta rouge Couronne
Et par la Majesté du vieux Sceptre de fer
Dont tu regis l’Enfer… «