La naissance de Pantagruel
Le jour que je naquis on vit pleuvoir du sel ;
Le soleil, en faisant son tour universel,
De la soif qu’il souffrit but quasi toute l’onde,
Et pensa d’un seul trait avaler tout le monde.
De là sont provenus tant d’abîmes sans eaux,
De là sont dérivés tant de rouges museaux,
Qui d’un gosier ardent, que rien ne désaltère,
S’occupent sans relâche au bacchique mystère ;
L’air, beaucoup plus en feu qu’au temps de Phaëton,
En cracha sur sa barbe aussi blanc que coton,
Et la nuit de devant on vit avec merveille
Briller une comète en forme de bouteille,
Pour présage certain, non de mortalité,
Comme les autres sont, mais de pleine santé :
J’entends de ces santés que l’on fait à la table,
Et par qui l’homme est dit animal raisonnable.
Ce beau mignon Troyen, ce sommelier des dieux,
Avec la jeune Hébé, versant à qui mieux mieux,
Se lassèrent les bras à leur emplir la coupe,
Et Jupiter en fut ivre comme une soupe.
Le grand mâtin céleste en devint enragé,
Le sucre de Madère en poivre fut changé,
Les gigots de mouton en jambons de Mayence ;
La terre eut le hoquet : elle en cria vengeance,
Et la nature même, en ardeur s’exaltant
Se vit prête à mourir de la mort de Roland ;
Si bien qu’à mon exemple, ainsi que dit l’histoire,
Partout à gueule ouverte on demandait à boire,
A BOIRE! A BOIRE!